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Majid Blal

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Cure-oreilles et babouches pour mon père

Par Majid Blal


Tu vois, ma fille ! Le temps passe tellement vite et ma santé est de jour en jour plus vacillante. Je prendrais le temps nécessaire pour te raconter ton histoire familiale et mon historique personnel. Cette vie, avant que je ne vienne dans ton pays. Je pense que c’est primordial que tu saches les faits, le déroulement du factuel et ma version de ma propre vie. L’authentique, l’originale. Les bribes qui te parviendraient de l’ailleurs ne seraient que des interprétations, des perceptions, des supputations...Sajjil et emmagasine.

Vendredi d'un printemps de l'année 1979. Mon cousin déboule chez moi, plutôt là où je résidais, et me lance d'une traite.

- Majid, il faut tu viennes manger à la maison à 13h. Ton père est ici à Rabat. Il est remonté contre toi. Ma mère te demande de passer le voir car il retourne à Midelt en fin de journée...

Qu'ai-je fait encore que je ne sais pas?...

Mon père avait l'ouïe fine et l'oreille racoleuse. Il prenait pour de la considération et de la bienveillance les dénonciations et le mouchardage que lui rapportaient les indiscrets persifleurs.

Sa culture collectiviste, du bien commun, ainsi que les particularismes de sa singularité accentuaient sa naïveté au point de l'illogique et de l'absurde. Il avait tendance à croire les délateurs, même quand c'est du clabaudage et de la diffamation, plutôt que de donner tort à ses indicateurs. Les collecteurs des Hassanates air-mail.

Il était à l'écoute, couramment active et principalement, lorsque les dénonciations concernaient les membres de sa famille, ses enfants en priorité et moi-même en tête de la troupe. Il ne vérifiait jamais ses sources, ni ne prenait en considération la version des concernés... Il suffisait d'une accusation gratuite pour être déconsidéré. Discrédité.

Si Bacha a dit ceci ou cela, c'est que Bacha a raison et il ne va pas essayer de le démentir, ni d'examiner les allégations...Mon père prenait toute délation comme un fait avéré. du Cash.

Je n'étais, pourtant, ni un vaurien, ni un délinquant délictueux. Uniquement, un petit soldat des études qui a passé plus de temps, enfermé, dans la caserne de l'internat, qu'à fomenter les mauvais coups dehors. Huit longues années d'internat, loin des tagines et de l'affection familiales.

Mon père était très gentil et très aimable avec les gens. Il était apprécié, aimé, estimé et il en mesurait la pertinence. Dans sa vision du milieu ambiant, les autres avaient toujours raison et nous n'avions pas droit au chapitre. Il n'était pas méchant, il était juste sévère avec les siens comme tous les despotes qui trônaient à la tête des familles marocaines.

Il faut avouer que je n'aidais pas la cause du dialogue, ni ne mettait en exergue le besoin de clarté et de vérité. J'étais introverti. Avare de mots, je vivais dans ma tête et je criais dedans. Indifférent au milieu et à mon entourage, à son esprit tribal et ne reconnaissant aucune légitimité à la justice qu'incarnaient le regard social et sa plaidoirie: La rumeur.

Après mes cours matinaux, je me pointe à midi chez ma tante. Je monte l'escalier en courant. J'étais anxieux et angoissé de connaitre la cause de cette convocation à la cours martiale. Je n'en avais aucune idée. Même pas un moindre indice...

Ma tante m'attendais avec le sourire triomphant de celle qui a, finalement, surpris le petit garnement, entrain de vider le pot de confiture avec ses doigts.

- Ton père a déboulé, de Midelt, bien remonté et choqué contre toi. Il est parti faire la prière du vendredi et sera de retour dans peu de temps pour le diner...

- Choqué! Pourquoi? Qu'est-ce que j'ai, encore, fait, sans en être informé. Quelles frasques ai-je, encore, commis ? Je suis toujours le dernier à être mis au courant de mes propres incartades.

- Arrête ton humour qui n’est même pas drôle, Ayama3dour ! C’est du sérieux. Bacha lui a téléphoné pour lui dire qu’il t’avait vu à “ Jour et nuit” le samedi. Il lui a dit que tu mènes un train de vie de nabab et que tu flambes trop, à force d’écumer les discothèques...

Abasourdi, estomaqué, médusé, bluffé, dépité, chagriné, attristé, je suis.

Je ne flambe rien parce que je n'ai rien à flamber. Même pour aller en discothèque, on prenait un peu de vin à la maison et on se contentait d,une seule consommation à l’intérieur de la discothèque. On commandait un Scotch-Coca, on donnait la petite bouteille de coca à la fille et on sirotait le whisky pour toute la veillée. Flamber la dèche et gérer le déficit...

Une minable petite bourse trimestrielle de 1300 dirhams et 20 francs. C'est tout. Ni subside familial, ni subventions parentales... 1300 Dh! pour payer le loyer environ 400 Dh par mois. Ce qui fait déjà 1200 Dh pour le trimestre. On arrivait à bien s'habiller, à payer les livres, l'autobus, quelques sorties, quelques activités culturelles, sans compter l'alimentation...On gérait le déficit et on y arrivait.

Cette année-là, nous étions trois à loger chez Jamal, qui nous hébergeait dans un grand logement de l'état dont ses parents lui ont laissé l'usage. Nous étions deux à ne rien payer, nais nous efforcions pour perpétuer l'image des étudiants studieux du haut Atlas et Tafilalet. Ce qui était considérée comme une contrepartie motivante pour réussir en études.

Il m’était arrivé, comme à beaucoup d'étudiants moins nantis, d'être créatif pour survivre par la débrouille, le système D et des fois en trafiquant. J'achetais beaucoup de billets, quand j'anticipais le buzz et l'achalandage autour d'un film ou d'un événement culturel. Je les refilais à Hamid, mon scalper préféré des Oudayas, en lui fixant le prix plancher à respecter. Le marché noir rapportait de l’argent, surtout que je ne prenais aucun risque car je ne vendais pas aux clients. Le profit par billet m’était rendu avec les honneurs. Tout ce que Hamid pouvait en tirer de plus lui revenait. Je me souviens que le film du concert de Bob Marley, à Berlin, a été bien payant au cinéma Colisée, ainsi que spectacle Rouicha au Théâtre Mohamed V.

Nous avions taxé pas mal de petit bourgeois qui étaient capables de casquer pour aller s'enfumer des effluves de Haschich dans la pénombre. Bref...

En ce qui concerne l'alimentation, il y avait une forte solidarité entre les étudiants qui venaient du Maroc profond. Nous partagions toujours, même quand on en avait que peu. Il y avait la fameuse M.B, cette recette de tomates et œufs qui sauvaient la vie. Les spaghettis colorés avec une petite boite de pâtes de tomates bien rouge, Le resto universitaire à 27 rials ( 25 cents), et quand cela devenait vital, je ne me gênais pas pour me présenter pour un repas chaud, chez mon oncle à Taqadoum ou chez ma tante, rue Moulay Ismail, Hassan...

Flamber qu'ils disaient !

J'ai vécu trois superbes années à l'université Mohamed V à Rabat. Trois années de dèche, de bonheur et de réussite, car la finalité était de réussir malgré les aléas financiers. Trois années sans demander un dirham au paternel, à part, quelques fois, de quoi prendre le bus pour retourner à Rabat et c'était ma mère qui s'en occupait.

On cogne à la porte, tout le monde chuchote. C'est Faska de retour de la mosquée. On ouvre et Mon père entrait rouge colère, on venait de lui poquer ses chaussures et ses lunettes qu'il avait déposées dans les souliers avant de rentrer prier.

Le fou rire était discret parmi les cousins et cousines et ne donnait lieu qu'à des reniflements éparpillés dans la maison. Une bonne âme charitable lui a donné de vieilles babouches pour quitter les lieux et revenir chez ma tante. Il était dépassé, outré et répétait avec l'indignation dans la voix.

- Mselmine Rbate, mselmine Rbate...les musulmans de Rabat, les musulmans de Rabat...

Le Greffier, fonctionnaire de campagne s'était fait enfirouaper et escroquer en ville. Il aura quoi raconter à Midelt.

Il était à moitié groggy. J'en ai profité pour lui assener quelques vérités entre quatre yeux. Je lui ai souligné que je ne lui ai jamais demandé son soutien monétaire, ni suggéré de vendre un champs pour investir dans mes études et qu'il ne m'en avait jamais fourni pour ma scolarité. Que flamber, suppose avoir les moyens à dilapider. Moi, je n'en avais pas. Je lui ai remis quelques uppercuts, supplémentaires, de bas en haut, en le questionnant sur sa propension à croire n'importe qui au détriment de ses enfants . Puis, sa tendance à ne jamais demander la version des concernés avant de se mettre en colère...

Je parlais. Je m'exprimais pour une fois et cela me soulageait. Mon père a avalé sa langue, me voir haranguer lui avait coupé le sifflet. Il était habitué à me voir baisser la tête et à ne jamais rétorquer aux reproches ni aux réprimandes. Chez nous, c'était une marque de respect par soumission volontaire. Ne pas être le fils indigne, c'était subir en silence et ne jamais se défendre...

Puis, j'ai allumé une cigarette en sa présence pour la première fois. J'avais 21 ans. Ma tante me faisait de grands signes de détresse de l'autre coté de la porte du salon. Elle gesticulait, m'ordonnait d'aller la voir, en se tapant les cuisses. je fini par y aller

- Tu n'as pas honte de fumer devant ton père. C'est plus que hchouma, c'est de la chouha. C'est scandaleux et c'est honteux. Tu ne respectes pas ton père ?

- Non khalti, c'est au contraire le respect total sans faux fuyant. C,est de la transparence. Au lieu de faire croire que je ne fume pas et de leurrer les perceptions en dopant la culture du faire semblant. Faure semblant que tout va bien, faire semblant que je n'ai entendu, faire semblant que les conneries ne me dérangent pas, que les mauvaises langues ne m'atteignent pas ...

Faire semblant, comme ces jeunes filles qui se changent au détour d'une rue, loin de la maison, enlevant le tablier d'écolière et mettant en valeur les débardeurs sexy. Ces belles lycéennes qui se maquillent en partant à l'école et qui se démaquillent en revenant à la maison, remettant le tablier au coin d'une ruelle... Faire semblant que tout est pureté autour de nous, en évitant de savoir car l'aveuglement volontaire est meilleur pour la conscience et pour le prestige des familles... Faire semblant que nos parents étaient sans taches ni imperfections, au point de les déshumaniser. Chaque marocain peut jurer, par orgueil mal placé, que ses parents sont des anges et qu’ils étaient l’incarnation de l’absolu. Faire semblant sinon, parait-il, la malédiction pourrait gâcher vos vies et pire encore s’abattre sur votre descendance.

Faire semblant et rentrer dans le moule, car le tabou n'est pas loin. Et quand on a une grande gueule, on finit par transgresser les tabous et on commence à témoigner.

Après ma licence, j’ai travaillé un an au BRPM, je me suis ramassé de quoi payer mon inscription dans une université canadienne, de quoi acheter un aller-retour Open et épargner 400 dollars canadiens pour recommencer une vie. Personne n’a déboursé une cent pour mon départ, à part un petit prêt par Amina, mais là, c’est une autre histoire.

( Merci à Feu Driss Chraibi qui avait commencé dès son premier roman " Le passé simple" à remettre en question les apprentissages et les pratiques archaïques de l'esprit de corps et du respect disproportionné du père-dieu. )

Majid Blal, Sherbrooke, 6 avril 2017

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